Par le Dr Vladimir Mitz
Un beau-frère Daniel Marchac chirurgien crâniofacial infantile
Je me souviens de mon beau-frère Daniel Marchac grand chirurgien cranio-facial s'il en fut qui avait pris la manie sympathique de palper les crânes des nouveau-nés dans sa famille, ou dans son entourage au cours de réunions extra professionnelles.
Après avoir été l'élève de Paul Tessier inventeur de la chirurgie cranio-faciale adulte et infantile, il développa cette spécialité totalement nouvelle dans le service de neurochirurgie infantile du professeur Hirsch à l'hôpital Necker enfant malades. Il y a inventé la magnifique technique du bandeau frontal flottant’ (« front flottant ») qui laisse le cerveau pousser vers l’avant l’os frontal libre de toute attache osseuse.
Il avait cette façon douce et comme de ne pas y toucher, de passer les deux mains sur le crâne de l'enfant, et son visage souriant soulignait qu'il venait de dépister un crâne turricéphale, ou une asymétrie pariétale significative.
Bien sûr dans ses consultations il y avait un défilé de malformations crâniennes, celle des syndromes d'Apert, ou des enfants atteints de la terrible déformation de Crouzon; mais son quotidien était le dépistage des craniosténoses (soudures prématurées des plaques osseuses crâniennes) dont il était devenu le grand spécialiste : leur traitement pour éviter la compression prématurée du cerveau sous-jacent pouvant conduire à la cécité ou à des déficiences intellectuelles irrattrapables.
Des patients alertés par une déformation du crâne !
Tous ces souvenirs m'ont traversé l'esprit car depuis quelques temps je reçois des appels de patients habitants parfois fort loin et qui se plaignent de déformations de leur crâne, pas de neurochirurgien à proximité pour les conseiller, voire pour intervenir.
Les demandes sont parfois confuses, les plus fréquentes étant la constatation de bosses inquiétante, d'asymétrie qui devient visible après la perte des cheveux ou à l'occasion d'un rasage crânien choisi pour sa soi-disant esthétique contemporaine.
Une autre demande psychologiquement plus inquiétante est la constatation d'une rainure dans la table externe de l'os, à la suite une greffe osseuse crânienne pour réparer un nez mal opéré ; le nez une fois réparé de cette façon ne devient plus le centre des préoccupations: Celles-ci se déplacent sur le crâne, qui concentre le désir obsessionnel d'une volonté de normalisation par des substrats osseux altérés.
Comment réparer ?
Au mieux par la prise de greffe osseuse, qui sont un procédé lourd avec grandes cicatrices ; ou par des injections- qui ne sont pas évidentes à réaliser- de substituts osseux ou de l’acide hyaluronique dense.
En fait les neurochirurgiens ont pris l'habitude de boucher les trous osseux qu'ils sont amenés à faire dans le crâne, au cours des trépanations, à l'aide d'une cire spéciale, la cire de Horsley.
Celle-ci peut être insuffisante, et laisser persister des petites dépressions sous-cutanées qui irritent beaucoup les patients; les grandes pertes de substance osseuses du crâne sont réparées soit par des plaques métalliques en titane ou, ou en Tantale, bien encore par des greffes osseuses prises sur les côtes qui sont dédoublées pour gagner en surface;
Mais il s'agit d'opérations majeures, le certains collègues neurochirurgiens préfèrent utiliser le ciment chirurgical des orthopédiste on le modelant en forme de plaque crânienne adaptée exactement au trou osseux considéré; l'ajustement doit être parfait, la fixation n'est pas facile, il y a un risque de rejet d'environ 2 à 5 % par infection hématome ou autre complication imprévisible.
Le crâne évolue depuis des millénaires…
En fait les études récentes de Paléo anthropologie des crânes préhistoriques ont parfaitement démontré que le crâne se consolide progressivement en fonction de la poussée cérébrale sous-jacente; les principaux acquis des 200000 années précédentes concernant l'homo sapiens ont été le développement de la région occipitale avec l'accroissement de volume et de connexions du cervelet, et également l'élargissement pariétal bilatéral.
Ainsi la forme de notre crâne comporte beaucoup de significations différentes; prédominance raciale originale, développement intra-utérin dans des positions de compression éventuelles, accouchement difficile avec déformation du crâne, ce normalement devrait s'arranger dans l'année qui suit la naissance.
Ainsi le palper doux que j'observais chez le chirurgien Daniel Marchac prend toute sa signification sociétale: La forme du crâne prend de nos jours une importance considérable car un grand nombre de patients masculins préfèrent avoir un crâne rasé aux formes parfaites selon leur goût propre, plutôt que de se pavaner avec une calvitie partielle dévoilant des formes de crâne irrégulières.
La préoccupation est moindre chez les femmes, pour lesquelles la masse chevelue confiée au besoin à un coiffeur habile et imaginatif, permettra de camoufler efficacement les quelques soucis de bosse et d'asymétries que la patiente pourrait remarquer dans son quotidien.
Des corrections possibles par de simples injections ?
Mais les solutions chirurgicales ne sont pas très faciles quand il faut corriger ces asymétries: En dehors des déformations majeures dont le traitement incombe au neurochirurgiens spécialisés, les petites dépressions osseuses où les asymétries peuvent-être remodelées par des injections d'acide hyaluronique dont la durée de persistance et en général d'une année, et qui revient assez cher(400€ par ampoule environ), ou par des séances de lipofillings(réinjection de votre propre graisse prélevé ailleurs sur le corps), mais seulement 30 % de ces cellules adipeuses vont survivre, obligeant à répéter les séances deux ou trois fois; la consistance des cellules graisseuses injectées est plutôt un peu plus molle que de l'os, mais permet quand même dans une certaine mesure de redonner du volume là où il en manque.
En définitive, le crâne accède à la noblesse d'un territoire soumis aux impératifs de la vision esthétique de nos contemporains, et peut donc imposer des gestes thérapeutiques qui ne sont pas banaux ni fréquents.